Le 9 août dernier, la banque d’affaires française Rochefort & Associés est devenue propriétaire de la filiale du pétrolier en Centrafrique. Après avoir soldé un différend financier avec Bangui, son patron croit au réaménagement de ses stations services hors de la capitale. Il met aussi sur l’activité aérienne.
Si les enseignes reconnaissables de Total s’affichent toujours à Bangui, c’est bien la banque d’affaires Rochefort & Associés qui en est le nouveau propriétaire. La filiale centrafricaine de TotalEnergies, qui devrait prochainement prendre le nom de Tamoil, était en vente depuis le début de l’année et a trouvé repreneur le 9 août. Le montant de la transaction n’a pas été communiqué. Bien que peu connu localement, Rochefort & Associés revendique une clientèle et des relations en Centrafrique depuis une dizaine d’années, notamment avec l’opérateur mobile Telecel.
Cette reprise nécessite un certain nombre d’ajustements et de discussions avec les autorités centrafricaines. Dans son bureau de l’avenue de l’Opéra, dans le très chic 1er arrondissement de la capitale française, Enguerrand Rochefort, le président de la banque, l’assure : « Nous avons trouvé un accord qui permet de relancer les activités. » Il s’agissait notamment d’apurer un contentieux financier avec les autorités.
Dans un communiqué publié le 13 octobre dernier, le ministère de l’Énergie faisait publiquement état du différend qui les opposait à Total Centrafrique. Il dénonçait le refus de la filiale française de verser, au titre de la « fiscalité pétrolière », plus de 2 milliards de francs CFA (environ 3 millions d’euros). Une décision prise par TotalEnergies parce que les autorités avaient accumulé d’importants impayés, explique un ancien cadre de l’entreprise.
Après plusieurs semaines d’échanges et un déplacement du directeur de la banque à Bangui, un terrain d’entente a finalement été trouvé. Une source chez les autorités centrafricaines avance la somme de 1 million d’euros.
Relancer les activités en province et à l’aéroport
Sur le terrain, Tamoil s’active : études, mise à jour du parc informatique et des systèmes d’exploitation, rénovation des gares… « Nous avons déjà investi plusieurs millions », assure Enguerrand Rochefort, souhaitant ainsi prouver son engagement pour la réussite de cette entreprise. Il ambitionne de faire de Tamoil la première société centrafricaine en mesure de se développer à l’étranger. Enguerrand Rochefort revendique d’ailleurs la « grande qualité » de son équipe, quasiment 100% centrafricaine, et la volonté de développer ses potentiels.
L’entreprise a donc fait l’acquisition de 28 stations sur l’ensemble du territoire. Dix sur onze fonctionnent actuellement dans la capitale, mais en province, toutes sont à l’arrêt. Certaines ont été fermées au cours de l’année 2013, marquées par la prise de pouvoir de Michel Djotodia et les affrontements meurtriers entre milices Séléka et anti-bakala. Les autres ont interrompu leurs activités lors de la crise provoquée par l’offensive armée de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) contre le président Faustin-Archange Touadéra (fin 2020-début 2021). Le nouveau propriétaire projette d’en rouvrir six l’année prochaine dans le sud et l’ouest du pays (Mbaïki, Bossembele, Bouar, Sibut, Bossangoa et Berberati).
Les efforts ne se concentrent pas uniquement sur la distribution de carburant dans les stations-services. Tamoil veut également redémarrer la fourniture de kérosène à l’aéroport de Bangui M’poko à l’arrêt depuis un an et demi.
Pendant la période intense de combats contre les rebelles de la CPC, l’armée régulière et la milice russe Wagner puisaient dans les réserves du pétrole, ont témoigné différents acteurs. Après cette période d’arrêt, il a fallu rétablir le contrôle de qualité des hydrocarbures aux normes internationales, ou encore souscrire des assurances pour couvrir les compagnies aériennes qui viendront s’approvisionner sur le tarmac centrafricain. Tamoil espère ainsi ravitailler les grands vols commerciaux passant par Bangui. Des marchés seraient à prendre, par exemple en convainquant Air France de se ravitailler sur place, plutôt qu’au Cameroun. La mise en place de trois nouvelles rotations d’Ethiopian Airlines laisse entrevoir également des opportunités. L’objectif de Tamoil est de redémarrer cette activité dès le début de l’année 2024.
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Des défis à l’investissement
De nombreux projets, qui posent également des défis au nouveau propriétaire. Le plus gros, selon Enguerrand Rochefort, concerne le ravitaillement. Pays enclavé, sans façade maritime, la Centrafrique peine encore aujourd’hui à recevoir du fret. L’approvisionnement en produits pétroliers ne fait pas exception et explique en partie les pénuries récurrentes dans les stations essence des diverses enseignes de la capitale. Pendant la saison des pluies, des barges livrent des carburants depuis la République du Congo via la rivière Oubangui. Alors qu’elle se termine, une première livraison de carburant pour l’aéronautique, le « jet fuel », est attendue dans les prochains jours. En saison sèche, l’approvisionnement se fait par la route. Les camions-citernes doivent parcourir plus de 1 400 km depuis le Cameroun sur des chaussées en plus ou moins en bon état. Et dans un contexte sécuritaire plus ou moins difficile.
Les ruptures de stocks récurrentes ainsi que les prix à la pompe, parmi les plus élevés de la région, créent régulièrement le mécontentement au sein de la population. Ces difficultés encouragent le développement du marché noir. Selon un document de la Banque mondiale publié en mai dernier, « entre 1,5 et 3 millions de litres de carburant ont été importés chaque mois, mais n’ont pas été vendus dans les stations de service habituelles ». Il n’est pas rare de voir en province, mais également à Bangui, la vente de carburant dans des petites bouteilles en plastique sur le bord des routes.
L’autre obstacle à surmonter par le repreneur de la filiale de TotalEnergies reste la corruption et la mauvaise gouvernance. Classée 150e sur 180 pays, selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International, la Centrafrique demeure un terrain difficile pour les investisseurs. Les acteurs économiques étrangers à Bangui se plaignent régulièrement d’être la « variable d’ajustement » pour les autorités lorsqu’elles ont besoin de rentrées de liquidités. Sur ce point, Enguerrand Rochefort se dit « confiant » et assure avoir reçu des « assurances » des plus hautes autorités.
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« On pense qu’il y a une opportunité »
Car s’il compte bien faire tourner ses affaires, il souhaite également travailler en faveur des Centrafricains, assure-t-il. Développer la vente de bouteilles de gaz – une activité peu lucrative, mais importante pour le quotidien des populations – fait partie des engagements d’Enguerrand Rochefort. TotalEnergies rappelait régulièrement que son chiffre d’affaires annuel en RCA équivalait à « celui d’une station essence sur une autoroute française ». « Nous, on pense qu’il y a une opportunité », affirme Enguerrand Rochefort, mettant en avant « l’agilité » de son groupe, comparé à la grosse machine de la major française.
Le patron fait aussi le pari du développement d’infrastructures de transports transfrontalières permettant d’envisager des opportunités régionales. Dans son viseur, les aménagements du fleuve Congo et de ses affluents, dont l’Oubangui, ou encore ceux du corridor Pointe-Noire, Brazzaville, Ouesso, Bangui, Ndjamena. Des projets pour lesquels la Cemac a réalisé une grande levée de fonds de plus de 7 milliards d’euros fin novembre à Paris, mais qui prendront encore plusieurs années pour se concrétiser. À plus court terme, Enguerrand Rochefort compte également sur le « réchauffement des relations Paris-Bangui » pour faciliter le développement de ses activités centrafricaines dans les meilleures conditions possibles.
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Publications:
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